Entre hiers et demains,

la peinture d’aujourd’hui

 

 

 

 

L’œuvre picturale se présente au premier regard comme l’animation d’un espace plastique souvent bidimensionnel. Celle-ci se doit de répondre à la double nécessité :

-         d’une part de fonctionner selon un régime d’immédiateté et d’évidence sensible,

-         et d’autre part d’articuler un propos sensé se révéler progressivement (dans la durée) au regardeur attentif.

 

Cette animation constitue une proposition évidente en même temps qu’une énigme  qu’il nous faut percer. Aussi, allons-nous chercher à établir ce qui peut constituer une singularité éventuellement porteuse de sens, après quoi nous envisagerons le passage au signe, puis élargirons au fonctionnement, à ce qui le constitue comme à ce qui le permet.

 

 

1.      Lecture plastique

 

Pour bien commencer, supposons-nous devant une œuvre, en situation de regardeur, mais après le premier choc, la première confrontation, et attachons-nous à son analyse. D’un point de vue méthodologique, nous avons alors à réaliser un travail de lecture et de repérage des signes ou de ce qui pourrait en constituer. Nul doute que le temps imparti à cette action, comme notre sensibilité, notre attention et notre connaissance des catégories de signes potentiels modulera le résultat de notre étude. Si cette lecture pouvait être jugée fidèle, nous serions en mesure de permettre la re-production de l’œuvre avec une marge d’erreur faible. Cette idée traduit immédiatement la médiocrité de notre attention.

Sans recours au sens, nous efforçant à voir, notre œil parcourt la surface et scrute les signes, cherche les modulations, les irrégularités.

Il nous faut remarquer que ce sont les irrégularités les plus grandes, les ruptures de continuité les plus franches qui retiendront prioritairement notre regard. Puis ce seront les irrégularités plus fines, comme les modulations tonales subtiles qui nous apparaîtront. Enfin, ce sera le tour de la justesse de certains placements, perçue dès le premier regard dans l’impression de fonctionnement visuel général, mais analysée seulement plus tard.

 

Ce par quoi une œuvre se constitue ou se signifie comme une intelligibilité potentiellement partageable, ce sont les structures simples ou complexes que celle-ci met en place. Plus nous parvenons à distinguer de correspondances entre les traces, plus notre compréhension de l’œuvre a de chance d’être grande.

 

Notre première réflexion nous porte à la définition d’une lecture structurale, organisationnelle et plastique des œuvres. Celle-ci consiste à regarder attentivement et longuement une œuvre en essayant, autant que faire se peut, d’oublier l’immédiatement perceptible ; en essayant de faire abstraction de tout ce qui serait reconnaissable ou identifiable, pour ne plus considérer l’œuvre que sous l’angle de la plasticité ; avec en tête une ouverture à l’associativité des formes, lignes, signes et traces, de façon à pouvoir ressentir l’image autrement.

C’est oublier le caractère figuratif ou la perspective s’il y en a une...

 

Cela, parce qu’à trop considérer l’immédiatement perceptible nous nommons puis nous arrêtons au nom, parce qu’à trop prêter attention au traitement ou à la stylisation, nous en oublions de lire l’œuvre comme un réseau complexe de structures mêlées, nous en négligeons la complexité et en perdons le bénéfice.

 

 

2.      La constitution des structures

 

 « Que distinguer ? » ; l’enjeu est celui de la lisibilité de l’œuvre.

 

Cette première question, que distinguer, équivaut à : qu’est-ce qui fait sens ? c’est-à-dire interroge quant à la nature des signifiants. Si les signifiants sont distribués en structures, nous allons, en adoptant le point de vue du peintre, veiller à établir les caractères qui permettent leur identification, c’est-à-dire comment elles peuvent devenir un signe.

 

La peinture, en tant qu’art visuel matériel, offre à l’artiste un éventail varié de dispositifs et de moyens. Parmi ceux-ci notons :

 

-         nature des matériaux pigmentaires (distinction des médiums)

-         couleur (vive, sourde, pastelles, mélangées-dégradées, diluées),

-         contraste (simultané entre couleurs voisines, des tons pris pour leur valeur de gris (i.e. lecture en noir et blanc), et sa qualité locale ou globale : dureté/douceur),

-         qualités d’aspect des traces utilisées (transparence/opacité,  matité/brillance, texture (et : gestes et outils nécessaires), niveau de couche, utilisation de vernis (local ou global), de matériaux hétérogènes inclus (collages, inclusions, agent texturants, niveau de précision du geste ou de l’outil, …),

-         qualités et aspects des supports (et propriétés relatives de planéité, dureté/souplesse dynamique, d’état de surface…) etc.

 

-         caractère des formes (rondes, anguleuses, droites, connexes (un seul morceau), fragmentées, place dans le format, nombre),

-         caractère des lignes (réelles, suggérées ou signifiées (et comment ?), droites, courbes, brisées, confrontées, juxtaposées, mellées, continues, morcelées),

-         caractère des groupes (rythmes, proportions, cadrage, orientation),

-         structuration perceptive de la profondeur (nombre de dimensions, puis : par la lumière, par superposition ; par division en registres, par perspective ; par tissages de réseaux).

 

Comment ces moyens opèrent-ils lorsqu’ils sont mis en œuvre ?

Ils opèrent par :           

1. différences à continuité dynamique

2. modulations à continuité du même

3. confrontations arbitraires à régime de perturbation (défectuosité dans les gestes, traces et formes, impropriété, absence de corrélation avec le reste)

 

L’œil aura donc à discerner les singularités, puis à envisager leur appartenance à diverses structures formées selon les trois régimes précédents et articulant les moyens choisis parmi ceux possibles en peinture [1] . Et dès qu’une structure sera perçue, il s’agira d’évaluer ses rapports avec les autres (et le sens que cela apporte) avant de continuer à en chercher d’autres.

 

 

3.      Des liaisons

 

Seule limite : la capacité du regardeur à distinguer et discerner ces signes, toujours plus ténus dès-lors que nombreux et divers. C’est là qu’intervient ce que nous nommerons le seuil perceptif. Sans chercher trop à le définir, remarquons qu’il est cette limite entre compréhension et incompréhension, entre reconnaissance et incapacité de re-connaître. Chacun établirait sans difficulté qu’il est fonction de nos organes internes ou externes de perception, c’est-à-dire qu’il dépendra directement de notre physiologie, de la qualité ou des défauts de notre vision, comme des appareillages disponibles, mais encore, dépendra de notre attention, du temps consacré pour l’analyse, de la multiplicité des angles d’appréhension disponibles, des distances de regard, de la nouveauté ou de la radicalité des moyens mis en œuvre par l’artiste (donc de notre éventuelle non-préparation à ce qu’il va proposer), enfin, également de nos connaissances, de notre habituation [2] à certains motifs, à certaines structures de représentation, à certains schèmes analytiques [3]

 

Discerner un écart c’est entretenir un dialogue avec la chose, puis entre la norme et la re-présentation. Ainsi parvenons-nous couramment à reconnaître, c’est-à-dire à passer outre les déformations pour réaliser une identification, avant de nous concentrer de nouveau sur les écarts pour en évaluer l’intérêt. Que les écarts consistent en déformations, cela nous est bien connu. Mais les écarts peuvent être de tout autre nature : les écarts peuvent consister en une fragmentation.

Par fragmentation nous voulons suggérer l’idée d’un morcellement de silhouette ou de forme, d’un ensemble discret de signes ; c’est à dire que le choix des détails pertinents ne se porte plus tant sur des caractères maintenant la cohésion de la forme globale, que sur des éléments de celle-ci, des morceaux. (c’est, par exemple, abandonner l’idée de contour ou de silhouette au profit de l’articulation)

 

Dès lors que la forme externe n’est plus totalement donnée, sommes-nous en mesure de la reconstituer mentalement ?

La réponse à cette question dépend naturellement de la quantité d’informations encore disponible dans ce qui reste, après fragmentation, après soustraction des éléments jugés non indispensables. D’une manière générale, plus les informations qui constituent la restitution visuelle d’une chose sont en nombre réduit, et plus elles doivent contenir les singularités essentielles qui permettent la reconnaissance.

 

La fragmentation nous conduit :

-         d’une part à inclure dans la définition du seuil perceptif un minimum nécessaire à la reconnaissance,

-         et d’autre part à considérer plus attentivement ce qui va nous permettre de percevoir que des singularités éparses constituent un ensemble, un Tout qui, une fois réuni, autorisera la reconnaissance.

 

Outre les articulations plastiques précédemment envisagées, qu’est-ce qui fait loi, loi de regroupement, de cohésion ? Nous en venons au premier niveau du sens. Forte ou faible, grandement définie ou plus discrète, suggérée, voire lâche, la liaison pose deux questions : comment l’obtenir ? et quand est-elle effective ?

 

Par liaison plastique (nous ne re-détaillons pas), en voici des exemples : la systématicité d’un geste, la régularité d’une forme, les occurrences multipliées de signes semblables, la commune appartenance à une même couche picturale identifiable, etc. .

De même : les liens diégétiques ; c’est-à-dire ceux relevant du genre de monde présenté et de ses lois supposées. Ces liens correspondent à l’articulation du sens entre des éléments discernés isolément mais co-présents, en conjonction, de par leur commune appartenance à l’œuvre [4] .

Enfin les liens fonctionnels et discursifs, c’est-à-dire relevant du rapport qu’entretiennent entre eux non seulement les différents énoncés mais aussi les concepts qui sous-tendirent leur formulation. Rapports perceptibles dans la motivation (justification) des choix conformationnels (présence et forme, configuration, des signes).

 

 

Ainsi : C’est  la compréhension des lois et régimes de liaisons qui valide aussitôt que possible les caractères de tel ou tel particularité, ensemble ou structure perçu.

C’est notre disponibilité à l’insolite qui peut être mise à mal par des dispositifs inusités comme ceux parfois de l’art contemporain [5] .

 

Cependant, n’avons nous pas négligé certains paramètres ?

Parlant de la liaison nous avons subtilement glissé de considérations locales à des considérations globales. Ce faisant nous avons occulté que l’œuvre est un tissu de liaisons, un réseau dense de liaisons multiples, diverses et croisées. Dans un panorama comme celui-ci, la hiérarchisation des liaisons sera une fonction d’organisation globale de l’œuvre, qui fera apparaître les structures par ordre, par niveau.

Une œuvre sera donc bancale ou faible dès lors que la hiérarchisation de ses organisations internes et de ses structures signifiantes ne sera pas efficace.

 

L’art réaliserait donc la définition progressive de modes de filtrages [6] et de voies nouvelles d’exercice de notre sensibilité à même de nous permettre de lire la logique de cette hiérarchisation. C’est là qu’intervient la dimension historique, culturelle et réflexive de l’art : le peintre d’aujourd’hui arrive après ses prédécesseurs.

 

Que cette organisation ne débute pas avec le placement des motifs et des grands ensembles plastiques, mais soit profondément nécessaire en toute chose, et donc commence avec le choix des gestes, de chaque geste, de chaque réserve de polysémie, de chaque réseau naissant, de chaque regroupement obtensible, des détails de la constitution de l’image (depuis sa conception jusqu’à l’arrêt de sa production), des couleurs (considérées une à une, isolément…), des étapes et couches, voire, extensivement, de tout ce qui relève du Pictural, c’est là ce qui s’impose à la conscience du peintre d’aujourd’hui. Cela, qui ne signe en rien la mort de la peinture, précise seulement combien l’acte est « choix », et combien les images pourraient être autres que ce qu’elles sont encore.  

Davantage : le seul choix du propos, la seule articulation des idées ressortit déjà de concepts qui ne sont pas neutres. C’est ce recul là qui est désormais attendu du peintre : de savoir échapper aux grandes catégories discursives dont relèvent (et que connotent aujourd’hui ; définirent en leur temps) les œuvres du passé.

 

 

4.      Peindre aujourd’hui

 

De ce qui précède résulte que : toute caractéristique discernable est susceptible de faire partie des réflexions formelles de l’artiste, d’être conceptualisée et articulée au sein d’une pratique discursive.

Peindre aujourd’hui c’est construire un tissu de liaisons signifiantes. C’est doter chaque structure de sens, en faire un énoncé.

L’œuvre apparaît alors comme une proposition formulée selon un mode énonciatif qui discute des normes ou constitue son propre domaine de validité.

Ce domaine de validité correspondant alors à la capacité de cette proposition de se formuler et de fournir, en même temps, le lieu de son établissement et de son sens [7] . Dès lors le mode énonciatif sera une projection-description, une connotation, du cadre conceptuel qui prévaut et sous-tend la formulation des énoncés (son cadre discursif).

 

Répartition des propositions : 

A l’évidence, trois niveaux de production picturale peuvent être définis d’après les outils théoriques mis en place précédemment :

 

Alors l’œuvre d’art est un tout, une totalité. Non pas un objet inutile et supplémentaire qui s’ajouterait au monde que nous connaissons et n’en modifierait pas le cours, mais la traduction d’une certaine conceptualisation. La révélation d’un genre de représentation du monde. Elle est tout à la fois un objet du savoir établi et de celui à venir, une entité didactique et discursive, une proposition énigmatique élargissante, une ouverture.

 

Si l’on peut reconnaître aux formes d’art du troisième groupe une réelle qualité : c’est celle de fonctionner sous l’angle  émotionnel, affectif, sentimental. C’est d’être, en toute modestie et humilité une pratique expressive qui relève bien souvent d’un univers mimétique, d’un recours à l’analogie et au semblable, qui appartient au monde, au visible et au vécu. Recueil des joies simples, havre d’harmonie et de douceur parfois mélancolique, lieu de l’immédiateté sensitive, de l’humour et d’une certaine naïveté, cet art est celui de la maison, du nid douillet, du quotidien, quand l’autre est celui des déserts et des milieux hostiles, inhospitaliers. L’un traduit notre attention à l’instant, l’autre notre capacité d’apprentissage et de dépassement ; l’un est contemplatif, l’autre réflexif, imaginatif, constructif, spéculatif. (ces qualificatifs ne sont pas exclusifs)

 

 

5.      Exemples de modes énonciatifs

 

Longtemps l’art abstrait s’est opposé (et fut opposé) à l’art figuratif en ce qu’il n’usait pas du recours à la représentation du visible. C’est-à-dire que s’éloignant de tout mimétisme volontaire, refusant le recours à l’analogie et au semblable, il entendait s’appuyer sur des signes autant dégagés que possible de toute signification. Hors du visible, la peinture abstraite cherchait à traduire l’intelligence sensible d’une situation ; elle appartenait à la représentation des affects.

Aujourd’hui cette démarcation (entre figuratif et abstrait) ne nous semble plus valide, notamment parce que notre quotidien mêle ces deux types d’image. Nous préférons considérer les possibles énonciatifs et discursifs non développés des signes, c’est-à-dire de ce qu’ils permettent hors des cadres discursifs usuels.

Davantage : la constitution d’un motif sera à comprendre comme une structure ; comme la définition d’une loi de cohésion (le motif appréhendé dans sa globalité) et d’un régime de liaison (ce qui lie chacun des constituants aux autres ou à certains des autres que comprend la structure). A titre d’exemple, une structure pourra réaliser la précipitation d’une perspective ou d’une déformation, la définition d’un angle de regard, l’agent de traduction d’une spatialité…

 

Un tel type de fonctionnement établit le motif hors de l’association entre signes et significations [8] .

Ce qu’il faut bien comprendre là c’est que la nature même des relations et du fonctionnement des motifs est profondément changée dès lors que : arbre, nuage, homme, télévision… la nature signifiante du motif (et partant la signification associée) est indifférente et que seuls comptent les modalités de son apparition et ses rapports avec les autres structures énonciatives mises en jeu par la proposition.

Utilisé comme objet abstrait de formulation, le motif n’offre alors, de son rapport au visible, que sa capacité d’être un réseau [9] identifiable par le cerveau, dont l’une des qualités et caractéristiques majeures est de n’être pas continu, régulier ou systématique dans son organisation ou sa distribution de singularités. (Par-là nous voulons signifier qu’il échappe à l’uniformité structurelle ou à la simplicité d’un réseau de lignes ou de points)

 

Autres sources d’image

Face à la multiplicité des signes, à la diversité des modes énonciatifs, à l’omniprésence de l’image [10] , le regardeur se doit de développer une capacité de filtrage. Il s’agira, non seulement de filtrer selon la nature des registres informatifs [11]  ; ce qui relevait de sa capacité à comprendre le régime de structuration ou d’organisation des données, à percevoir quelqu’ordre sous-jacent ; mais encore de développer des modes de filtrages relativement à la nature possible des relations qui peuvent unir différentes catégories de signes, ou simplement des signes de catégories différentes.

Plus simplement : avant de rechercher le sens sous l’organisation unique, le regardeur cherchera les organisations possibles, autorisera en pensée la conjonction de plusieurs structurations, et, tôt cherchera à évaluer l’intérêt de chacune, à comprendre la nature de leurs rapports et le cadre conceptuel dont elles dépendent.

 

Cela est lent, fastidieux et harassant ; sans parler de la nature même des filtrages dont certains nécessiteraient des instruments [12] … mais c’est d’un profit plus grand.

 

Ce qui conditionne l’image :

Ce qui nous échappe, c’est justement notre conformation cérébrale, notre incapacité à penser radicalement autrement que comme nous le faisons. C’est ce par quoi l’artiste appartient à son temps. C’est l’orientation de l’époque ; c’en est le « maniérisme » ; la part commune avec nos contemporains.

Cette petite remarque anodine nous ramène directement aux cadres discursifs que nous allons illustrer afin de les rendre plus explicites ou évidents.

 

 

6.      Exemples de cadres discursifs :

 

Rappelons brièvement : par cadres discursifs nous entendions les concepts (et leur jeu, leurs rapports les uns aux autres) qui prévalent à la formulation des énoncés de l’œuvre. Deux cadres peuvent donc différer, non pas seulement en ce que les concepts qu’ils regroupent diffèrent, mais bien déjà parce que fondés sur les mêmes concepts, ils les articulent différemment.

 

La Tour  : La lumière, condition de la lisibilité (de l’intelligibilité),

Vélasquez : représentation dotée de sa propre réflexivité (conscience de ses moyens),

Vermeer : la justesse de tous les ordres de grandeurs et rapports d’échelle, de valeur…

Picasso : discussion des fondements du Pictural : style, plasticité, normes et codes culturels, cadre conceptuel, la représentation et ses limites…

Duchamp : l’institutionnalisation de l’œuvre,

Pollock : l’acte en tant que fondateur du cadre discursif,

L’art minimal : recherche de l’identité entre l’ensemble des irrégularités potentiellement signifiantes et l’ensemble des signes. Réduction du nombre de signes, lisibilité intrinsèque de chacun, attention portée à toutes les liaisons et corrélations éventuelles entre eux. Volonté de maîtrise totale. Séduction du binaire comme langage sans ambiguïté.

L’art conceptuel :  limitation des signes, pensée de leurs rapports de façon à articuler des concepts. Ici : volonté de changer avec chaque œuvre de cadre discursif.

Le pop’art : représentation plasticienne du quotidien sublimé (réactualisation des mythes)

Surréalisme : exploration de l’inconscient

L’hyperréalisme : interrogation relative aux fondements de notre impression de réalisme. Statut de la peinture et statut de la photographie.

 

 

Conclusion

           

Si le recours à la représentation induit des liens avec l’époque, le temps, la société et la culture, (en ce qu’elle re-convoque, c’est-à-dire donne de nouveau à voir, rend une seconde fois présent à l’esprit quelque chose qui l’a déjà été) ; si une part déterminée se mêle à toute formulation, alors aucune universalité n’est accessible en peinture par la représentation.

La plasticité s’impose alors à l’esprit. Le décoratif, l’agrément visuel est-il son seul horizon ? n’est-elle pas déshumanisante [13]  ? vide de sens ?

Et que dire de ses rapports à la culture ?

En effet : les hommes n’étant pas également confrontés à des formes rondes ou anguleuses, à une prédominance d’horizontales, de verticales ou d’obliques dans leur environnement ; les sens de lecture de l’écrit variant, et avec lui le sens de parcours de l’image tout comme la définition des lieux privilégiés de regard d’un format rectangulaire plan ; le genre de conformation cérébrale s’établissant corrélativement à la structure fonctionnelle du langage parlé ; une symbolique des couleurs et des formes étant portée par la culture… (en tant que candidate à l’universalité picturale) la plasticité semble compromise. Encore que ces difficultés ne sont dues qu’à la persistance d’une lecture culturelle !

La culture ressortit-elle nécessairement d’un cadre théorique l’induisant à établir un tel symbolisme ? Plus simplement : une culture peut-elle parvenir à abandonner son symbolisme plastique sans renoncer forcément au reste de ce qui la constitue ? Nous ne saurions répondre à une telle question.  

 

Remarquons en dernier lieu que la plasticité ne vaut qu’hors de l’habituation que nous avons de ses effets, qu’hors de sa répétitivité et de sa permanence. Un sien discours est donc envisageable, à la condition de son propre renouvellement, de sa re-fondation perpétuelle. Or ceci ne se réalise bien souvent que par la définition de nouveaux cadres discursifs et modes énonciatifs qui impliquent un régime de représentation… Ainsi, l’enjeu plasticien est peut-être d’expliciter les mécanismes a-culturels et a-temporels, quoique demeurant un moyen de la représentation.

  Jetant un pont entre les temps et les peuples, ouvrant une porte sur l’avenir, l’art parviendra peut-être à se constituer en tant que positivité de notre sensibilité, à moins que l’universalité de cette dernière ne se révèle définitivement au-delà du langage et de toute représentation.

 

 

 

 

 

 

MARGUERIT, sept. 2004.    

 



[1] Pour les pratiques établies proches des limites de la peinture (utilisation de différents médiums, tressage de genres et pratiques diverses), il faudrait en tenir compte et ajouter les modes de constitution de signes des pratiques concernées.

[2] Nous reviendrons ailleurs sur la notion d’habitus perceptif – à voir comme une conformation cérébrale préférentielle, une plus grande efficacité dans la reconnaissance de ce qui appartient à notre environnement. Cela, lié à notre constitution et au fait que nous nous adaptons et optimisons les stratégies les plus employées comme celles les plus à même de nous aider à survivre. Bref, milieu et culture induisent des hiérarchisations distinctes d’efficience. Ainsi un occidental différentie-t-il plus difficilement deux chinois entre eux que ne le ferait un troisième, qui lui, aurait intégré toutes les subtiles variations du type morphologique de son milieu ; et réciproquement.

[3] Tout aussi bien, le peintre pourrait lui-même prendre en compte certains effets optiques ou physiologiques tels la tâche aveugle de la rétine, la sensibilité spectrale, la non-uniformité de la sensibilité fréquentielle, les limites de définition…

[4] Par exemple une texture locale et le motif qu’elle suggère qui ensemble évoquent une image vidéo (structuration par lignes).

[5] En particulier l’un des phénomènes récursifs de l’appréhension par le public, à savoir le désintérêt par incompréhension, par critique de la « facilité » de certaines oeuvres, sinon invectives, provient de ce que l’art contemporain, fortement marqué par les courants minimalistes et conceptuels, travaille avec une grande économie de moyens, de sorte que les signes non perçus, les réseaux non re-formés par le regardeur lui font défaut et que l’unicité des voies énonciatives ne lui laisse pas le recours d’adhérer selon d’autres voies.

[6] Nous développerons ce point un peu plus loin, lorsque nous aborderons la question des autres sources d’image.

[7] D’ailleurs c’est presque systématiquement le cas, sinon l’œuvre est faible en tant qu’inintelligible, en tant que relevant d’une pensée et d’une éventuelle conceptualisation des moyens auxquelles elle ne donne pas accès.

[8] Ici le motif fragmenté est suggéré selon une structure discrète dont le mode d’apparition fait sens ; selon une structure dont la configuration et la forme des parties, leur répartition spatiale… comptent et chargent d’affects. Un cheval ne sera pas beau selon la justesse de ses proportions, la contraction de ses muscles ou la tension de son expression, mais le sera en fonction des caractères des éléments de sa structure évocatrice. Ainsi y a-t-il dissociation entre l’émotion attachée à l’idée ou au concept, et l’émotion attachée à la structure évocatrice.

[9] Dès lors que fragmenté. Dans la fragmentation réside également l’introduction et l’intérêt du retard, du délais perceptif, avant reconnaissance.

[10] Certains types d’image intègrent chaque jour un peu plus notre quotidien et ne sont pas neutres : l’imagerie scientifique, médicale, toute image ou source d’image produite par l’homme dans son développement, y compris celles publicitaires, médiatiques, filmiques, artistiques… D’autres enfin, accessibles à l’homme sans médiation instrumentale ; il s’agit de celles à caractère psychologique, psychiatrique ou physiologique marqué, notamment : perception sous alcool, sous psychotropes, troubles de la vision, troubles de la personnalité (schizophrénie, paranoïa et épilepsie aiguë, psychose), ou liées à l’individu : supposons par exemple qu’il ne soit âgé que de quatre ou cinq ans…

[11] Comme par exemple sélectionner dans le champ visuel l’ensemble des données se rapportant à tel sujet, distinguer les panneaux de signalisation routière lorsqu’il conduit un véhicule, trouver ce qu’il recherche dans un lieu, un magasin inconnu…

[12] Sinon de vastes connaissances pluridisciplinaires.

[13] Opère-t-elle une distanciation d’avec la violence expressive, émotionnelle, de l’image ? Cette question est un faux problème : elle confond fonctionnement plastique de l’image et fonctionnement de la représentation. En effet, si la plasticité a parfois la capacité d’exacerber certains caractères d’une représentation au point de conditionner l’appréhension que nous en avons (effet plastique du choix de l’angle de vision, du cadrage), voire d’en annuler l’effet premier, c’est avant tout parce qu’elle constitue un autre mode d’énonciation plus rapide que celui de l’analyse détaillée de la représentation, qui le double et le supplante, et dont la rapidité même, l’efficacité, devrait être prise en compte et mise à profit pour, corrélativement à la représentation, établir le mode de fonctionnement énonciatif de l’œuvre. Ce n’est donc que lorsque la plasticité est utilisée pour elle-même, pour sa séduction immédiate, qu’elle amoindrit et parasite une représentation.

 

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